Au sujet de la cinématographie pure de ce troisième film : une claque
démentielle, une maîtrise technologique qui démontre que la machine à rêve
d’ILM garde une avance certaine sur ces concurrents et la mise en scène de
George Lucas, maîtrisée de bout en bout, avec des plans absolument magnifiques
et pleins de poésie ! Le retour à la réalité a été brutal en sortant de la
salle !
Concernant le contenu du film, j'ai été très agréablement surpris. Ce troisième
épisode est une réussite, malgré des scènes un peu expédiées. La version en DVD
nous fournira probablement quelques scènes supplémentaires bienvenues. Mais,
dans l'ensemble, le plaisir et l'émotion sont bien là, alors que cela manquait
un peu dans les épisodes 1 et 2.
« La revanche des Sith » peut être placé au même niveau que l’épisode 5 grâce à
son côté sombre.
Le film nous présente des scènes d'anthologie :
la bataille du début avec des
vaisseaux spatiaux fabuleux, l’ordre 66, le duel de folie entre Anakin et
Obi-Wan, la mort de Padmé avec la naissance de deux personnages mythiques, et
surtout, le visage détruit d'Anakin lorsqu'il reçoit le masque de Vader
accompagné du premier souffle du respirateur, absolument terrifiant !
Les bonnes surprises sont venues du jeu d'acteur de Hayden Christensen et de
Ewan McGregor qui se complètent à merveille, et on sent que, sur le combat
final, ils ont bossé comme des dingues pour transmettre cette furie à l’écran.
Natalie Portman, bien que dans un rôle un peu en retrait, apporte une maturité
étonnante à son personnage. Mais, c’est surtout Ian McDiarmid qui éblouit de sa
prestation le triple rôle Palpatine / Darth Sidious / Empereur.
Les scènes avec Vader sont l’apogée du film, le but qu’avait toujours voulu
atteindre George Lucas dès la première trilogie. Ce qui était un homme se
trouve irrémédiablement emprisonné dans une machine. Le corps et l’âme de
Skywalker sont détruits, et on ne peut que se souvenir du dernier gros plan sur
le visage d’Anakin, magnifiquement joué par Christensen, où une larme coule sur
sa joue, emportant dans la douleur les dernières traces d’humanité qui
pouvaient encore rester en lui. Lorsque, devenu Vader, il apprend que Padmé est
morte par sa faute, qu'il est prisonnier et le jouet de l'empereur, le film
atteint alors le niveau d’une tragédie classique.
Toutes les manipulations de Palpatine, mises en place dans les épisodes 1 et 2,
trouvent ici leurs aboutissements. La chute de la République, d’un système
politique qui a oublié le bien commun pour les biens particuliers, permet
l’ascension d’un dictateur, ce que Padmé résume très bien d'ailleurs lors de la
scène du sénat. On sent Anakin glisser lentement vers le côté obscur. Pas de
façon trop appuyée, mais tangible. Pièce après pièce. Membre après membre. Cela
transpire dans son personnage. Et l'acteur joue excellemment la colère et la
frustration qui s’empare de lui. Cela lui permet de battre le comte Doku,
d’autant plus que ce dernier comprend la trahison de Palpatine et que tous ses
espoirs de puissance étaient vains. Doku ne se bat plus avec la Force, mais
avec le désespoir de n'être qu'un homme seul.
Une petite note : le film dure 2h20, donc à cette échelle, le passage vers le
coté obscur d’Anakin peut paraître un peu court. D’une part, il ne faut pas
oublier tous les signes de frustration que le personnage avait déjà pu montrer
dans le deuxième film. D’autre part, Padmé a un ventre tout ce qu'il y a de
discret, 3 à 4 mois de grossesse environ, au début du film. La narration se
déroule donc ensuite sur une période de 4 à 5 mois (ne pas oublier que les
déplacements dans l’espace provoquent également des distorsions temporelles),
ce qui laisse suffisamment de temps à Palpatine pour emprisonner Anakin dans
son gant de fer.
Au sujet des enfants, Anakin sait en effet Padmé enceinte. Mais à la fin du
film, à part Yoda, Obi-Wan, Bail Organa ainsi que le couple Lars, personne ne
sait que Padmé a accouché, pas même ses parents ! Ainsi, lors des funérailles
de Padmé, on voit encore son ventre arrondi.
Pour la seule fois, Palpatine ne ment pas à Vader quand il lui dit que sa femme
est morte avant d'avoir pu donner naissance.
Venons-en maintenant au cœur du film.
Face à Obi-Wan, Anakin est diminué lors du combat final. Sa chute est le
résultat de son amour pour Padmé. Quand celle-ci le rejette, il perd toute
raison de vivre sa vie d’homme. Il n'a sans doute plus toute sa volonté pour
tuer Obi-Wan, son maître et ami. Pas encore formé au côté obscur, il réalise
que ce pourquoi il a trahi le côté lumineux de la Force et tué ses amis Jedi, y
compris les jeunes apprentis, n'a servi qu'à le perdre aux yeux de Padmé.
Si Obi-Wan arrive à défaire Anakin, c’est parce que nous sommes en présence d’un
maître Jedi accompli, qui malgré l’affection qu’il porte à Anakin, n’a
probablement jamais oublié ses doutes envers le garçon lors de leur première
rencontre sur Tatooine. Loin d’être un vieillard sénile dans l’épisode 4,
ermite, et attendant son heure, comme ordonné par Yoda, il permettra lors de
son combat avec Vader que la prophétie se réalise.
Alors que dans l'épisode 2, Anakin apprend que les Jedi n'ont plus autant de
maîtrise de la Force qu'avant, il ne se sent pas atteint par cette faiblesse et
ce détachement qu’on lui inculque dans l’enseignement Jedi. Lorsque sa mère
meurt dans ses bras, il se sent impuissant, et décide que ce sera la dernière
fois que la mort touchera un être aimé. Il devine qu'avec la puissance de la
Force qu'il porte en lui, il aurait pu faire quelque chose. Ce qu’il réaffirme
à sa femme en lui disant qu’il pourrait être encore plus grand qu’il ne l’est.
Il refuse de « laisser aller » comme lui demande Yoda qui explique qu'il doit
renoncer à ses attaches sentimentales, qui ne sont que la voie vers le coté
obscur. Anakin se sent également humilié par le Conseil Jedi qui ne lui
reconnaît pas le rang de Maître, car ils ont peur de lui, mais ne le lui disent
pas franchement. Un Conseil qui lui demande néanmoins d’enfreindre l’une des
règles de conduite Jedi, ce qui montre que Yoda et Windu peuvent être
calculateurs et cyniques eux aussi. Le jeune Jedi a une attirance pour un
pouvoir ferme qui s'affanchirait des lourdeurs démocratiques, et a été suivi de
près par Palpatine qu’il admire. Il a commis une vraie boucherie à la mort de sa
mère, uniquement par esprit de vengeance. Il est amoureux, donc fragile. Et
pourtant, il place au-dessus de tout son admiration pour la philosophie Jedi,
son amitié filiale pour Obi-Wan et son désir de bien faire.
C'est sur ces leviers que Palpatine va agir, et Anakin ne peut que le rejoindre
pour recevoir l'enseignement qui lui apportera la connaissance ultime.
Connaissance qu'il pense utiliser pour faire le bien. Et être sans doute ce
« dictateur éclairé » dont il rêve dans l'épisode 2 et qui effraie Padmé. Les
deux clefs des agissements d’Anakin sont l’amour qu’il porte à Padmé et le
pouvoir sur la mort qu’il veut acquérir. D'où l'idée fort intéressante avancée
par Lucas à la fin, où l'on comprend que le vrai pouvoir sur la mort est une
sorte de vie après la mort qui est supérieure à la vie à tout prix. Dans le
tout premier film « Un nouvel espoir », Obi Wan le dit d'ailleurs fort bien à
Darth Vader : « En me tuant, tu me rendras plus fort que tu ne l'imagines ».
Dès lors, le point central des deux trilogies commence avec la scène où Mace
Windu affronte Palpatine. Au moment où celui-ci envoie ses éclairs, Windu
résiste, tout en conjurant Anakin de ne pas écouter ses mensonges. Anakin doit
faire un choix. Palpatine supplie Anakin en lui disant qu’il pourra sauver
Padmé. Palpatine se laisse volontairement battre par Windu, afin qu'Anakin
penche de son coté, d’autant plus que Windu enfreint le code des Jedi. Toute
cette scène est parallèle à celle de l’épisode 6 où Luke supplie son père de
l'aider alors qu’il subit les assauts de l’empereur. Dans la première scène,
Anakin fait le mauvais choix en sauvant Palpatine et il bascule du côté obscur,
et dans la deuxième scène, il fait le bon choix, il revient vers le côté
lumineux.
Autre parallèle avec les derniers mots de Padmé : « Il y a du bon en lui », propos
que Luke dira plus tard à Vader, en le reconnaissant comme son père :
« Il y a encore du bon en vous, je l'ai senti. »
Egalement, la scène dans l’épisode 5 où, quand Luke quitte Dagobah pour sauver
ses amis et qu’Obi-Wan dit : « Ce garcon est notre dernier espoir », Yoda
prononce alors dans un souffle « Non, il y en a un autre... ».
Ainsi le titre de l’épisode 6 « le retour du Jedi », concerne bien Anakin
Skywalker, personnage central des six films car, à la toute fin, il rétablit
l'équilibre de la Force en détruisant le dernier des seigneurs Sith.
La prophétie est accomplie, le Jedi est revenu.
Comment conclure une aventure de 25 ans, est-ce même possible ? En ai-je envie ?
Ce troisième épisode aux multiples niveaux de lecture, montre que le George
Lucas de la première trilogie et celui de celle-ci ne sont pas le même homme,
ce qui n’a pas toujours été compris par certains spectateurs et fans de la
première heure. Dans l’article que j’écrivis à l’époque de la sortie de
l’épisode 1, je précisai déjà quels étaient les buts de Lucas. Malgré le
comique, parfois lourdingue de Jar Jar Binks, il était évident que cette
nouvelle trilogie aurait une autre tonalité, beaucoup plus adulte, moins
manichéenne, et au contenu beaucoup plus politique.
De plus, il ne faut pas oublier la révolution culturelle et technologique que ce
cinéaste, incompris et injustement jugé comme mauvais metteur en scène, a
réalisé.
L’exemple le plus parlant est le tout premier film, l’épisode 4. Voici un film
qui commence avec un générique incroyable sous une musique tonitruante, et une
scène de combat spatial fabuleuse, pour l’époque, 1977, qui cloua tous les
spectateurs dans leur siège. Puis, comme tous les autres films de sa
génération, l’histoire se déroule avec lenteur et, pendant une bonne heure, il
ne se passe presque rien, puisqu’on suit les pas d’un jeune fermier assez naïf,
dans des scènes de désert aride et un saloon futuriste. La mise en scène est
classique, sans effets de manche. Et subitement, l’image explose à l’écran, et
le cinéma mondial change du jour au lendemain. Le premier film « Star Wars – Un
nouvel espoir » possède en lui-même tous les éléments de cette révolution
culturelle. Et ainsi, la première trilogie fut entièrement réalisée dans cet
esprit d’espérance, même si Lucas avait déjà prévu cette ambivalence du
personnage de Vader. En effet, dans le documentaire sur les personnages que
l’on peut visionner dans le coffret DVD des épisodes 4, 5 et 6, il est
intéressant de noter que Lucas explique qu'au début de l’écriture, Darth Vader
et Anakin étaient deux personnes distinctes, l'un incarnant le mal, l'autre le
bien, avant de les réunir dans un seul et même personnage.
Vingt ans plus tard, le monde dans lequel nous vivons avait changé, et nos
espoirs aussi. Il n’est pas anormal que George Lucas ait pris conscience de la
complexité de ce monde et de l’âme humaine, et ait souhaité élargir le contexte
de sa nouvelle trilogie. Ainsi, si Obi-Wan Kenobi est un homme intègre tout au
long de sa vie, il peut être légitime de se poser certaines questions au sujet
des actions de Windu, ou de celles de Yoda qui, à la fin du film, s’en va pour
attendre le moment où il pourra se servir d’un des deux enfants Skywalker afin
d’abattre l’empereur, le dernier des Sith.
George Lucas a ainsi apporté une complexité à son œuvre qui va dorénavant nous
obliger à regarder la première trilogie d’un œil nouveau.
Cadeau empoisonné ? Peut-être...
Choix à respecter ? Certainement, car voici un cinéaste qui, au lieu de nous
prendre bêtement par la main et nous abrutir d’images sans queue ni tête, fait
au contraire appel à notre intelligence.
Pour tout cela, et plus encore, je ne peux m’empêcher avec émotion de remercier
Monsieur Lucas qui m’a donné du rêve et m’en donnera pendant de longues années
encore, à l’autre bout de la galaxie... ou dans une autre...
Que la force soit avec vous.
Yabaar, le 31 mai 2005.